A l’occasion d’un café zététique à Villefranche sur Mer où le Centre d’Analyse Zététique intervenait, M. S, magnétiseur professionnel (c’est son activité principale), manifeste le souhait de se soumettre à des tests pour mettre en évidence certaines de ces capacités. Après deux rencontres et de nombreux échanges de courrier, les capacités à tester et les protocoles d’expériences sont établis. Seront donc soumises aux tests la capacité à détecter la présence d’un agrume dissimulé dans des boîtes en carton, la capacité à « momifier » un agrume par approche des mains et la capacité à momifier un agrume à distance par un travail sur photo. Les détails des protocoles ont été validés par les deux parties.
Protocoles des expériences
Préalablement à toutes les expériences, vingt citrons ont été cueillis dans un arbre par une personne équipée de gants. Tous les citrons ont été stockés dans le même sac jusqu’au jour de l’expérience (deux jours plus tard).
Expérience N°1
La première expérience consiste à tester la capacité de détection d’un citron dissimulé sous des boîtes en carton. Le magnétiseur a pu contrôler que la présence du carton n’altérait pas sa perception.
L’expérience se déroule en double aveugle. Dans ce but, deux équipes sont constituées : la première (appelée équipe N°1) sera l’équipe assistant le magnétiseur et la deuxième (appelée équipe N°2) sera l’équipe qui prépare les tests. Il a été décidé de mener vingt essais de découverte d’un citron dissimulé sous une boîte en carton tirée au sort (à l’aide de la fonction random d’une calculatrice) parmi dix. L’expérience sera déclarée réussie si le magnétiseur parvient à découvrir le citron dix fois ou plus sur les vingt essais. Chaque essai se déroule de la même manière. L’équipe N°1 se retire de la salle d’expérience pour aller dans une autre pièce. Pendant ce temps, l’équipe N°2 procède au tirage au sort de la boîte, place le citron sous la boîte choisie, bouge toutes les boîtes pour effacer de possibles indices et se retire dans une troisième salle. L’équipe N°2 envoie un signal par SMS à l’équipe N°1 pour lui signaler que la salle d’expérience est libre. L’équipe N°1 se rend dans la salle d’expérience et le magnétiseur procède à sa détection. Il énonce la boîte sous laquelle il pense que le citron se trouve. L’équipe N°2 est rappelée et on procède à la vérification. En procédant de cette manière, le magnétiseur ne sait pas où se trouve le citron mais l’équipe chargée de surveiller le bon déroulement du test ne le sait pas non plus. On réalise donc un test en double aveugle qui évite une transmission involontaire d’informations par l’équipe faisant passer le test ou une captation d’information par le magnétiseur.
Expérience N°2
La deuxième expérience consiste à tester la capacité du magnétiseur à se servir de son « fluide » pour « momifier » des citrons. D’après le magnétiseur, une « momification » d’un citron se manifeste par un dessèchement rapide du citron sans apparition de moisissures et un changement de couleur le faisant passer du jaune au marron. Ces changements sont visibles et contrôlables après six jours. Au cours de cette période, le magnétiseur doit travailler une demi-heure chaque jour en approchant ses mains des citrons. Pour contrôler le dessèchement et l’évolution de la couleur, les citrons seront pesés quotidiennement et pris en photos. Afin de pouvoir mettre en évidence une influence particulière du magnétiseur, des citrons témoins seront conservés dans les mêmes conditions que les citrons magnétisés mais ne seront jamais exposés au travail du magnétiseur.
L’expérience a débuté par la constitution des groupes de citrons. Les citrons magnétisés sont au nombre de quatre et ont été choisis au hasard parmi tous ceux cueillis deux jours avant et placés dans une assiette. Chaque citron possède son emplacement repéré par un chiffre afin de ne pas échanger des citrons au cours des diverses manipulations
L’assiette contenant les citrons témoins est constituée de la même manière. L’assiette des citrons magnétisés est désignée par la lettre A et l’assiette des citrons témoins est désignée par la lettre C. Il faut signaler que le choix des citrons a été contraint par la taille des citrons. Tous les citrons n’ayant pas le même volume et donc pas la même surface d’échange avec l’extérieur, il a fallu les choisir de manière à rendre la composition de chaque assiette comparable. Lors de cette constitution, les citrons ont été pesés et photographiés. Les deux assiettes sont ensuite stockées sur la même étagère.
Le premier jour de travail, les assiettes sont installées. Sur une table est placée l’assiette des citrons magnétisés. Au-dessus de cette assiette est placé un écran en carton afin d’isoler au maximum les citrons de la chaleur dégagée par les mains du magnétiseur et afin d’éviter toute tentative d’ajout d’un produit quelconque sur les citrons.
Le magnétiseur avait eu la possibilité de vérifier que cet écran ne perturbait pas son action. Sur une autre table, l’assiette des citrons témoins est elle aussi installée sous un écran identique afin de conserver les mêmes conditions pendant toute la durée de l’expérience. Le magnétiseur peut alors s’installer et effectuer son travail pendant une demi-heure. Quand il a terminé, les citrons sont pesés et photographiés un à un puis remis à leurs emplacements respectifs et les deux assiettes sont remises sur leur étagère. Ce processus a été répété chaque jour pendant six jours.
À la fin des six jours, les variations de masse des citrons de chaque assiette seront comparées par un test statistique détaillé dans la partie « résultats ». Si les différences sont statistiquement significatives, l’expérience sera déclarée réussie pour le magnétiseur. De la même manière, les variations de couleur des citrons de chaque assiette seront comparées et si une déviation statistiquement significative est constatée entre les deux groupes de citrons, cela apportera un élément supplémentaire à la réussite de l’expérience. La méthode de comparaison sera, elle aussi, détaillée dans la partie « résultats ».
Expérience N°3
La deuxième expérience consiste à tester la capacité du magnétiseur à se servir de son « fluide » pour « momifier » des citrons à distance.
Lors de la constitution des assiettes pour l’expérience N°2, un troisième groupe de citrons a été sélectionné de la même manière et a été placé dans une assiette désignée par la lettre B. Les citrons ont, eux aussi, été pesés et photographiés. La photo de l’assiette a été confiée au magnétiseur pour qu’il puisse effectuer son travail chez lui. Ces citrons de l’assiette B pourront être comparés à l’assiette C des citrons témoins. Dans ce but, l’assiette B était conservée dans les mêmes conditions que les deux autres, c’est-à-dire conservée sur la même étagère, posée sur une table et positionnée sous un écran en carton en même temps que les deux autres. À la fin des six jours, l’assiette B sera comparée à l’assiette C. La comparaison s’effectuera de la même manière que dans l’expérience N°2 et les critères de réussite seront les mêmes.
Résultats
Expérience N°1
Disposition des boîtes
Résultats des tests
Dans ce test, la probabilité de trouver le citron par hasard est d’une chance sur 10. La réussite de l’expérience a été placée à dix succès ou plus. Cela revient à dire que, si ce genre d’événement survient, on a 0,0001% de chance de se tromper en disant que cela ne relève pas du hasard. Ce critère peut paraître très restrictif mais cela permet d’éviter les faux positifs et si le magnétiseur a réellement la capacité de détecter la présence du citron, ce taux n’est pas un obstacle. Le critère de rejet dans les expériences médicales est souvent de 5%. Dans ce cas, on a une chance sur vingt de se tromper en disant que le résultat ne relève pas du hasard. Dans le cadre de notre expérience, ce critère de 5% donnerait une réussite à partir de 5 succès ou plus.
Le magnétiseur a obtenu un succès sur vingt tentatives. Il s’agit donc d’un échec total. Le qualificatif total ne doit pas être compris comme un jugement subjectif de l’échec mais signifie que l’on est, non seulement très loin du seuil de réussite défini au début de l’expérience, mais aussi d’un seuil qui aurait pu ouvrir la porte à d’autres essais. En effet, vers cinq ou six succès l’expérience n’aurait pas été une réussite mais elle aurait pu laisser penser qu’il y avait potentiellement quelque chose.
Proximité des choix
Si le magnétiseur n’a pas réussi à trouver précisément le citron, on peut se poser la question de savoir si ses choix étaient proches de la boîte cible. En effet, si le citron « rayonne » autour de sa position, le magnétiseur a pu être perturbé dans sa détection. Il pensait être au-dessus alors qu’il était juste à côté. Pour cela, nous allons calculer la distance entre la position du citron et la détection du magnétiseur pour chaque essai. On pourra ensuite estimer la probabilité des distances de détection obtenues par le magnétiseur et comparer cela avec une détection faite au hasard.
On numérote les emplacements possibles du citron de 1 à 10 (ces emplacements correspondent aux boîtes. On fixe la distance entre deux positions à la verticale ou à l’horizontale à 1.
La probabilité de se trouver à une certaine distance du citron change en fonction de la position du citron. Nous allons considérer deux cas :
- la détection se fait sur une boîte située à droite, à gauche, au-dessus ou en-dessous de la boîte sous laquelle se trouve le citron. La distance est alors inférieure ou égale à 1.
- La détection se fait sur une boîte située autour de la position du citron. La distance est alors inférieure ou égale à 1,4.
La probabilité moyenne de se trouver à une distance inférieure ou égale à 1 par hasard est de 0.355 soit 35,5%. La probabilité moyenne de se trouver à une distance inférieure ou égale à 1,4 par hasard est de 0.51 soit 51%.
Le magnétiseur s’est trouvé 6 fois sur 20 à une distance inférieure ou égale à 1 et 9 fois sur 20 à une distance inférieure ou égale à 1,4. Le tableau suivant donne le nombre maximum de succès conforme au hasard pour les probabilités précédentes et pour différents seuils de rejet.
Le tableau se lit de la manière suivante : On a 35,5% de chance de tomber par hasard à une distance inférieure ou égale à 1. En choisissant d’avoir 5% de chance de se tromper en disant que le résultat ne relève pas du hasard, on trouve que le nombre de succès doit être supérieur à 11 succès sur 20.
On observe que dans toutes les situations le nombre de succès du magnétiseur est dans la zone conforme aux résultats attendus par hasard. Les détections du magnétiseur n’ont donc pas été plus proche de la position du citron que ne l’aurait fait le hasard.
Expérience N°2 et N°3
La masse des citrons
Le tableau 1 répertorie les pesées des citrons témoins et des citrons magnétisés en direct effectuées pendant les six jours de l’expérience.
représente la moyenne des masses des citrons de l’assiette. - Δ
/prec représente la variation de la moyenne du jour par rapport à la moyenne du jour précédent. - %/prec représente le pourcentage de variation du jour par rapport à la moyenne du jour précédent.
Toutes les mesures sont en gramme. La première magnétisation a eu lieu le mardi 25 février et la dernière le lundi 3 mars.
Le tableau 2 regroupe les résultats du traitement statistique des mesures du tableau 1.
- Masse théorique avec gradient C moyen représente la masse théorique que devrait avoir le citron à la fin de l’expérience s’il avait subi la même perte que la moyenne des citrons témoins.
- Masse théorique avec gradient C moyen représente la masse théorique que devrait avoir le citron à la fin de l’expérience s’il avait subi la même perte que le citron témoin dont la masse est la plus proche de la sienne. L’appariement des citrons est le suivant : A1 avec C3, A2 avec C1, A3 avec C4 et A4 avec C2.
Les tableaux 3 et 4 reprennent les mêmes résultats que les tableaux 1 et 2 mais pour les citrons magnétisés à distance. Les graphiques qui suivent permettent de visualiser les variations de masse des différents citrons au cours du temps.
En portant notre attention sur les graphiques, on constate que l’ensemble des citrons subit une perte de masse au cours du temps. Cette perte provient de leur déshydratation naturelle au contact de l’air. Le « fluide » du magnétiseur devait accélérer ce phénomène. On devrait donc observer une diminution de la masse beaucoup plus rapide pour les citrons magnétisés (en direct ou à distance) que pour les citrons témoins. A première vue, on ne note aucune différence. Ce premier examen visuel ne suffit pas à rejeter la manifestation d’une action particulière du magnétiseur.
Afin de mieux quantifier les différences entre les groupes de citrons, nous allons procéder à un test de chi2. Pour mettre en place ce test, il faut poser une hypothèse, appelée hypothèse nulle, puis comparer les données produites par l’expérience aux données dites théoriques, c’est-à-dire celles que l’on aurait obtenues si l’hypothèse nulle est vraie. L’hypothèse nulle posée ici est la suivante : le magnétiseur n’a aucune influence sur les citrons. Les données expérimentales sont constituées par les masses des citrons magnétisés à la fin de l’expérience. Les données théoriques sont obtenues en appliquant la méthode suivante. Sachant que les citrons témoins n’ont pas été magnétisés, leur diminution de masse correspond à celle attendue sans influence. On applique leur pourcentage de perte de masse aux citrons magnétisés. On obtient ainsi la masse théorique que les citrons magnétisés auraient atteint en l’absence d’influence du magnétiseur. Ce sont ces masses théoriques que l’on compare aux masses réellement obtenues. Pour chaque citron magnétisé, on calcule la quantité suivante :
(Mth–Mexp)2/Mth
Mth est la masse théorique du citron sans influence et Mexp est la masse effective du citron à la fin de l’expérience. Les résultats sont regroupés dans le tableau 2 pour les citrons magnétisés en direct et dans le tableau 4 pour les citrons magnétisés à distance.
On additionne ensuite les résultats de chaque citron pour les trois groupes (en direct, à distance et témoins). Le résultat de l’addition nous donne la valeur du Chi2 indiquée dans les tableaux 2 et 4. Pour chaque groupe, le Chi2 a été calculé deux fois. Une première fois en calculant la masse théorique en fin d’expérience à partir de la variation moyenne des citrons témoins et une deuxième fois en calculant la masse théorique à partir de la variation de masse du citron le plus proche en masse (les appariements ont été donnés précédemment).
Il faut enfin déterminer un seuil à partir duquel l’hypothèse nulle peut être rejetée. On détermine pour cela un seuil de significativité qui définit la probabilité de se tromper en rejetant l’hypothèse nulle. Ces seuils sont habituellement fixés à 5% ou 1%. Plus le seuil est faible, plus le risque de rejeter l’hypothèse à tort est faible. Pour chacun des seuils il existe un chi2 théorique. Si le chi2 calculé est plus grand que le chi2 théorique, l’hypothèse nulle peut être rejetée et si le chi2 calculé est plus petit que le chi2 théorique l’hypothèse nulle ne peut être rejetée.
Pour un degré de significativité de 5% et avec quatre degrés de liberté, les χ2 devaient être supérieurs à 9,49 et pour un degré de significativité de 0,1%, supérieurs à 18,47. Les chi2 calculés sont donc très inférieurs aux chi2 théoriques. Sachant que la notion de degré de liberté est assez floue, il faut préciser que même avec un nombre de degrés inférieur, les chi2 calculés restent très inférieurs aux chi2 théoriques. Les variations de masse des citrons magnétisés, en direct ou à distance, ne sont donc pas statistiquement différentes des variations de masse des citrons témoins. Le magnétiseur n’a pas fait la preuve d’un pouvoir quelconque sur la vitesse de dessiccation des citrons.
La couleur des citrons
Au cours des 8 jours de cette expérience, les citrons magnétisés (en direct ou à distance) devaient voir leur couleur tendre vers le marron. Ils ont donc été photographiés chaque jour dans les mêmes conditions.
Pour l’analyse, une portion de 100 x 100 pixels de la photo de chaque citron a été isolée. Sur cet échantillon, les composantes vertes, rouges et bleues de chaque pixel ont été extraites et la moyenne des résultats a été calculée pour chaque couleur. On obtient ainsi une teinte moyenne pour l’échantillon de photo de chaque citron. Ce travail a été répété chaque jour.
On peut ainsi visualiser les variations de couleur au cours du temps.
Les barres d’erreur sur chaque mesure ont été calculées en mesurant les variations de couleur moyenne en différents endroits d’un même citron.
Les citrons magnétisés devaient voir leur couleur tendre vers le marron. Voici un exemple de composantes RGB pour un type de marron :
Il existe différents types de marron mais d’une manière générale, pour passer du jaune au marron, les composantes R et G doivent diminuer et la composante B doit augmenter. Aucune de ces variations n’a été observée. Les seules variations observées proviennent de la position des citrons qui n’était pas exactement la même chaque jour. Cette origine est confirmée par la variation simultanée des trois composantes.
Il n’y a donc aucune différence de comportement entre les citrons magnétisés et les citrons de contrôle. Aucun citron n’a vu sa couleur évoluer vers le marron. On peut même dire que la couleur de l’ensemble des citrons n’a pas varié au cours de l’expérience.
Conclusion
L’expérience de détection d’un citron dissimulé a été un échec total, l’expérience de « momification » en direct a été un échec, autant pour les variations de masse que pour les variations de couleur et il en va de même pour l’expérience de « momification » à distance. Ces échecs ne sont absolument pas discutables tant les résultats sont éloignés des limites fixées. En effet, dans certains cas, les résultats peuvent être à la limite de la significativité et ainsi prêter à discussion. Ce n’est absolument pas le cas ici. Le magnétiseur n’a donc pas fait la preuve des capacités annoncées.